Dossier : les consommateurs sont-ils devenus des béta-testeurs ?

Autrefois, acheter un produit dans la télévision, la vidéo ou la haute fidélité revenait à choisir des performances précises devenues obsolètes dès qu’un nouveau standard ou une quelconque amélioration étaient découverts.

Esquisse d’une évolution, de ses dérives, et courte réflexion sur l’ère du « tout jetable ».

Autrefois, acheter un produit dans la télévision, la vidéo ou la haute fidélité revenait à choisir des performances précises devenues obsolètes dès qu’un nouveau standard ou une quelconque amélioration étaient découverts. Au moins savait-on ce qu’on achetait.

Avec l’avènement de l’informatique est apparue la conception modulaire, qui permet par l’ajout d’une carte de modifier ou d’ajouter des performances. En Hi-Fi et Home-Cinema, cette technologie n’est exploitée que par des constructeurs prestigieux ou sur le Haut-De-Gamme. Puis les mises à jour logicielles (firmware) ont permis de résoudre d’éventuels problèmes et d’ajouter des fonctionnalités. Flasher une puce est toujours d’actualité, mais la mise à jour logicielle s’est étendue aux applications de type java qui pilotent de plus en plus de matériel multimédia.

Jusqu’à présent, les constructeurs respectaient une règle éthique qui consiste à ne pas revendiquer de fonctionnalité tant qu’elle n’est pas disponible, au moins via une mise à jour.

Avec la compétition féroce qui se livre sur le terrain, on voit se développer depuis quelques années une attitude contestable :

De plus en plus de constructeurs proposent des produits alléchants sur le papier, mais dont la conception ne correspond pas au standing revendiqué, tant au niveau matériel qu’au niveau logiciel.

Prenons un exemple qui nous semble représentatif de cette dérive :

Le lecteur universel Pioneer BDP-LX55.

Précédé d’une rumeur flatteuse et d’une fiche technique alléchante, ce lecteur arrive dans les rayons pour les fêtes de fin d’année 2011, alors que la concurrence n’a pas encore présenté de renouvellement de gamme. Il offre des prestations remarquables, comme la lecture des bluray 3D,  DVD-audio et SACD, FLAC, MKV HD etc. avec des capacités d’upscalling et de traitement d’image à la pointe de la technologie.

L’effort de production est dirigé vers l’Europe, où le lecteur bénéficie d’un positionnement tarifaire avantageux. En effet, ce n’est pas le cas aux Etats Unis, où son jumeau «BDP-53FD  Elite » est en concurrence , au tarif de 499 $,  avec le modèle BD93 du leader OPPO. Le Pioneer n’a pour seuls avantages que sa ligne complémentaire à celle des amplis de la marque ainsi qu’une délinaison récente de la puce Marvell QDEO. De bien maigres arguments face à la qualité de fabrication du lecteur Oppo et la légendaire réactivité de cette jeune marque.

Vue de l’intérieur de la platine Pioneer : Alimentation électrique à découpage (génératrice de parasites), platine de lecture de type standard informatique, intégration maximale de composants électroniques économiques. Peu de choses distinguent  la BDP-LX55, pourtant qualifiée de « haut de gamme » par Pioneer, de ses petites sœurs : une plaque de tôle pour réduire les vibrations du drive, une gestion séparée des flux vidéo et audio par HDMI. Même la façade reste en plastique. En cas de panne, une réparation est possible, mais ne sera pas viable économiquement.

 

Intérieur d’une platine Oppo BD93. L’alimentation électrique (à gauche) est filtrée et composée de modules séparés dédiés aux éléments mécaniques et electroniques. Le drive est un modèle informatique carossé et stabilisé, les circuits sont positionnés de manière logique et comportent de nombreux composants électroniques de qualité. Une construction sérieuse qui vaut aux lecteurs Oppo d’être intégrés ou rebadgés par plusieurs marques réputées, citons l’anglais Cambridge-Audio. Enfin, la façade est en aluminium. Fait pour durer et facilement upgradable.Vendu au même prix que le BDP-LX55 aux USA : Cherchez l’erreur !

 

En Europe, le positionnement tarifaire du lecteur Oppo est nettement moins favorable. Marantz et Denon proposent des solutions sensiblement équivalentes à des prix supérieurs à 600 €. Onkyo et Yamaha préparent un renouvellement de gamme. SonyPhilips et Panasonic ne s’intéressent pas au segment des lecteurs universels.

Proposé à la vente au tarif conseillé de 400 €, le BDP-LX55 offre aux détaillants une marge importante, ce qui permet de discuter les prix et d’attaquer le marché des utilisateurs passionnés, avides de nouveauté et négociateurs hors paire.

Le lancement de la platine est un succés. Mais très vite, les utilisateurs déchantent. La partie logicielle est immature, un nombre impressionnant de bugs est recensé et, plus étonnants, des défauts sont découverts sur certains modèles mais pas sur d’autres.  Les forums se déchainent. Un bon exemple pour les francophones est celui de HomeCinema.fr.

Interrogé à ce sujet, Pioneer France n’a pas daigné nous répondre.

Une mise à jour récente résoud quelques problèmes, mais ne répond pas à l’attente des utilisateurs, qui en ont pourtant fait remonter une liste.

On est en droit de s’interroger sur de telles pratiques de la part de constructeur renommés. Il est clair que la mise en production a été effectuée sans qu’une sérieuse batterie de tests n’en renforce la conception.

Résultat, entre autres désagréments, la compatibilité avec certains CDs (et variantes protégées), SACDs et Blu-rays est compromise. La pauvreté de l’affichage intégré rend l’exploitation de la platine sans écran TV difficile, et il arrive de devoir débrancher le cordon secteur pour résoudre un plantage complet. Dans ces conditions, on peut dire que le constructeur ne tient pas ses promesses.

Pioneer n’est pas un cas isolé, on rencontre des problèmes avec les lecteur LG et Samsung, qui revendiquent par exemple la compatibilité avec la lecture d’un film en 24 images par seconde, mais sont incapables de gérer correctement la version longue d’AVATAR avec ce réglage. Plus grave, aucune mise à jour ne résoudra certains problèmes, car ces sociétés ont choisi de ne pas s’acquiter des droits de licence pour la France, ce qui oblige à accéder aux menus des diques en version originale (le plus souvent anglaise). Le menu français est présent mais désactivé et le film inaccessible par ce choix. Simple pour un Geek, incompréhensible pour l’utilisateur lambda.

Pour en revenir à Pioneer, curieusement, la mise à jour du firmware résoud chez certains la compatibilité avec des films connus pour ne pas être lisible sur cette platine, mais pas chez d’autres utilisateurs, alors que les références du disque sont identiques. Un élément à relier avec des défauts présents sur certaines platines et pas sur d’autres ?

En son temps, Denon avait admis que certaines séries d’un même modèle étaient assemblées au Japon alors que d’autres l’étaient en Chine. Ce qui expliquait des disparités dans les performances et la fiabilité entre appareils.

Pour le moment, aucune information ne filtre de chez Pioneer.

Et même si la mise à jour du firmware pouvait résoudre tous les problèmes, son application, bien que relativement simple, n’est pas à la portée de tous les utilisateurs  « de 7 à 77 ans », même s’il est rare aujourd’hui de ne pas avoir dans un cercle proche quelqu’un qui aidera à la mise à jour. Il faut de plus « signer » un accord contractuel, signifiant la perte de la garantie en cas de problème, pour pouvoir télécharger la mise à jour. Pas très rassurant, même si les accidents ne sont pas si fréquents.

Enfin, il semble évident que les constructeurs, Pioneer en tête, déplacent la responsabilité d’un département de Recherche & Développement sur la masse des utilisateurs d’aujourd’hui, qui font remonter les bugs et problèmes via les forums et la hot-line. Un choix qui peut-être payant, si le constructeur parvient à mettre en place une relation de coopération respectueuse et valorisante, comme le font les grandes firmes informatiques (Google ou Mozilla sont exemplaires).

Un risque également, à force de prendre le consommateur pour un beta-testeur : celui de cristalliser les mécontentements et de dévaloriser gravement une réputation pourtant glorieuse

Oppo donne le bon exemple, en entretenant un dialogue fructueux avec les utilisateurs, d’où découlent de fréquentes mises à jour et la valorisation d’un réseau de techniciens capables de faire évoluer le matériel.

On peut en conclure qu’à défaut d’un « label » de qualité, il est préférable pour l’utilisateur ordinaire de choisir de préférence des modèles éprouvés. La fonction de conseil des vendeurs est alors importante. La consultation sur internet des forums de passionnés est également une source importante d’information, bien plus que les revues spécialisées dont les critiques se fondent rarement sur une étude approfondie du fonctionnement d’un appareil. A noter une source éditoriale qui fonde sa réputation sur des tests aboutis : audiovideohd.fr.

On peut également s’interroger sur la mise sur le marché de produits qui sont non seulement rapidement obsolètes, mais inaboutis dans leur conception, donc destinés à remplir le marché de l’occasion, les circuits de reconditionnement (au mieux) et les décharges.


crédit photo : Andrew McConnell

Les constructeurs doivent avoir conscience de leur responsabilité. L’informatique et le multimédia surfent sur l’ère du « tout jetable ». Pourtant, la raréfaction des matières premières et les préoccupations écologique imposent une évolution des habitudes de consommation. Il est temps de développer une approche qualitative respectueuse premièrement  des utilisateurs, et secondairement de l’environnement.

1 commentaire
  1. Teddy

    C’est sans compter que OPPO a supprimé une fonction dans son dernier Firmware… Hors pour moi et pour beaucoup je pense c’etait quand meme un bon argument de vente…
    En fait, OPPO a supprimé la lecture des ISO :-(
    Hors depenser 1200€ dans une platine a qui on supprime des fonctions, je trouve ca pas cool. Si je l’avais su avant jamais j’aurai acheté un OPPO.

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